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L’immobilier de montagne : un marché dynamique, mais des écarts qui se creusent

par Antoine Tranchimand

L’immobilier de montagne : un marché dynamique, mais des écarts qui se creusent

Un article du 22 janvier 2023 du journal Les Echos titrait « De Val d’Isère à Chamonix, les prix atteignent des sommets ». L’auteur y détaillait dans certaines grandes stations des prix au m² supérieurs au haut-de-gamme parisien, entre 15 000 € et 30 000 €, et une tendance en forte hausse. D’autre part, dans une étude publiée fin 2022 par Prello, société spécialisée dans l’investissement en résidences secondaires, on pouvait lire que l’investissement immobilier à la montagne offrait des rendements supérieurs à toutes les autres destinations. L’immobilier de montagne serait-il devenu une martingale immobilière, tant pour la prise de valeur que pour la rentabilité d’exploitation ?

On sait depuis longtemps que les résidences secondaires à la montagne sont concrètement peu occupées par leurs propriétaires et que leurs coûts d’entretien sont élevés en raison des contraintes climatiques. Deux nouveaux risques sont désormais bien identifiés. La raréfaction de la neige tout d’abord, phénomène particulièrement visible aux vacances de fin d’année 2022-2023, certains domaines de renom étant restés fermés en raison d’un trop faible enneigement. La recherche de sobriété énergétique est la deuxième problématique. Une large part du parc d’hébergement de montagne est constituée de résidences construites dans les années 70 et 80 avec des normes d’isolation thermique bien éloignées des standards actuels.

L’impact du réchauffement climatique est flagrant sur l’enneigement des montagnes françaises. Quel que soit le scénario retenu, on estime qu’à l’horizon de 2050 la période d’enneigement et l’épaisseur du manteau auront perdu 10 à 40%. Même en utilisant toutes leurs ressources techniques, les stations ne pourront pas lutter contre cette évolution et il est clair que les périodes de fermeture, totale ou partielle, des domaines vont s’accroître.
Bien évidemment, les stations de haute altitude, proposant des hébergements au-dessus de 1500 m et des remontées mécaniques dépassant les 3000 m, s’en sortent mieux que les autres mais ne pourront échapper à la tendance de fond. De plus, l’ensoleillement des pistes, jusqu’ici très recherché, devient un facteur aggravant du manque de neige.
Il semble clair qu’à moyen et long terme, l’attractivité des stations ne peut reposer exclusivement sur la pratique du ski. Nombre d’entre elles ont misé sur les activités sans neige, en particulier sur le tourisme vert, qui peuvent se pratiquer hors périodes hivernales.
L’investissement immobilier à la montagne est directement corrélé à l’attractivité touristique de la commune ou station. Il est donc plus que probable que les grandes stations, qui offrent à la fois du ski de haute altitude et qui ont les moyens de développer leur proposition de loisirs hors ski, seront les plus attractives pour les investisseurs. Les écarts de prix qui se sont créés ces dernières années (par exemple, les Alpes du Nord sont en moyenne trois fois plus chères que les Pyrénées), devraient en toute logique continuer à se creuser. Il est même à craindre que certaines petites stations de moyenne altitude décrochent de la tendance haussière générale et connaissent une crise immobilière inédite sur le marché français.

La loi climat et résilience a instauré des interdictions progressives de louer les logements les plus énergivores. Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, ceux classés « G+ » au DPE sont interdits à la location, les « G » suivront au 1er janvier 2025, les « F » en 2028 et enfin les « E » en 2034. Cette interdiction ne s’applique à ce stade qu’aux baux conclus à titre de résidence principale, et ne touche donc pas les locations de courte durée.
Néanmoins lors d’une interview sur BFM en octobre 2022, Olivier Klein, Ministre du Logement, a déclaré « Il est hors de question qu’on se réfugie derrière l’interdiction de remettre en location, en transformant son logement en meublé touristique ». À l’entendre, on peut donc craindre que dans un avenir proche les locations saisonnières soient aussi concernées par cette nouvelle contrainte. Le parc d’immeubles de montagne très énergivores serait alors directement impacté.
L’application d’une telle mesure semble toutefois hypothétique au regard des problématiques de mise en œuvre. Il faudrait tout d’abord justifier d’un DPE à chaque location, y compris pour des courts séjours de quelques nuits, ce qui semble difficile à organiser. D’autre part, le gouvernement travaille sur la loi actuelle à de nombreuses exemptions pour les bâtiments difficilement isolables (haussmanniens par exemple) et il y a fort à parier que les chalets anciens ou les grands ensembles des années 70 et 80 seront protégés par ces mesures. Enfin, il ne faut pas oublier que le tourisme représente environ 7% du PIB français, et la destination montagne en est l’une des composantes. Le secteur n’a tout simplement pas les moyens de voir une partie importante de son offre de logement déclassée du jour au lendemain.
Néanmoins, ce risque de nouvelle contrainte de performance thermique est pris au sérieux par certains professionnels. Ainsi le géant américain AirBnB a annoncé accompagner financièrement (entre 1000 et 2000 euros) les propriétaires réalisant des travaux d’amélioration énergétique de leurs logements loués via la plateforme.
Les constructions récentes, à partir des années 2000, ou les rénovations profondes réalisées ces dernières années répondent à des normes thermiques (RT 2000, 2005, 2012, …) qui leur garantissent une performance énergétique sanctionnée d’une « bonne » lettre au DPE, ce qui n’est pas le cas des constructions plus anciennes ou non rénovées. Quand bien même une éventuelle interdiction de louer n’est pas pour demain, il est probable que les acquéreurs vont commencer à comptabiliser ce critère dans leur décision d’achat, ce qui aura mécaniquement un impact sur le prix.

Le marché immobilier est loin d’être homogène, et la montagne ne déroge pas à la règle. Plusieurs marchés coexistent et peuvent connaître des tendances divergentes, voire opposées.
Les différences d’enneigement et d’équipements de loisirs devraient dans les années à venir accroître l’écart entre les destinations les plus prisées et les autres. Dans les massifs, il y a fort à parier que les Alpes du Nord continueront sur la tendance haussière qui les porte depuis 20 ans. En revanche, les Vosges ou le Massif Central continueront-ils à attirer des investisseurs quand les défauts d’enneigement seront devenus réguliers ? Au sein d’un même massif, les situations ne sont pas toutes comparables. Entre Val-Thorens (73), qui propose un ski entre 2000 m et 3300 m et Le Grand Bornand (74) qui culmine à 2100m, il est clair que la deuxième va souffrir plus vite et plus fort du réchauffement climatique.
La nécessaire recherche de sobriété énergétique, même si elle ne se traduit pas à court terme par une mesure coercitive, amène progressivement les acquéreurs à privilégier les biens récents ou intégralement rénovés. Ce sont déjà les produits les plus chers, et la tendance ne va pas s’inverser.

Les formidables écarts constatés dans les prix de l’immobilier de montagne pourraient donc continuer à se creuser. Les produits haut-de-gamme situés dans les stations les plus prisées devraient continuer à s’apprécier tandis que l’hébergement un peu daté de certaines stations de moyenne altitude pourrait stagner, voire entrer dans une sérieuse crise de demande. Comme parfois en immobilier, l’audace n’est pas récompensée et c’est en pariant sur ce qui est déjà très valorisé qu’on fera les meilleures affaires.

 

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